03/08/2018
John Burnside : L’Eté des noyés
John Burnside est né en 1955 à Dunfermline, en Ecosse, où il vit actuellement. Il a étudié au collège des Arts et Technologies de Cambridge. Membre honoraire de l’Université de Dundee, il enseigne aujourd’hui la littérature à l’université de Saint Andrews. Poète reconnu, il est aussi l’auteur de romans et de nouvelles. L’Eté des noyés, son dernier roman traduit, date de 2014.
Une île désertique du nord de la Norvège, dans le cercle polaire arctique. Là vivent, Liv la narratrice, adolescente de dix-huit ans et sa mère, une artiste peintre connue, retirée du monde pour se consacrer à son art. Un été, des évènements tragiques autant qu’extraordinaires vont marquer à vie la jeune fille : deux frères, collégiens comme elle, vont se noyer au même endroit à quelques jours d’intervalle sans qu’on puisse expliquer le pourquoi et le comment. Leur seul voisin, Kyrre, un vieil homme collectionnant les anciens livres de contes et légendes, aime à lui raconter ces histoires de trolls et autres fantasmagories d’où émerge la huldra, une créature surnaturelle ayant l’aspect d’une très jolie femme entrainant les jeunes hommes vers la mort.
Avec John Burnside, ou ça passe ou ça coince ; ou vous faites abstraction de toute logique pour vous laissez porter par l’intrigue flirtant avec le surnaturel, ou bien vous calez d’entrée et abandonnez votre lecture. Il n’y a pas de juste milieu. Constat établi après lecture de trois de ses romans.
Le résumé ci-dessus est trompeur – mais qu’est-ce qui ne l’est pas dans ce roman ? – car certes, ces éléments mystérieux et tant d’autres ensuite, sont bien présents dans le livre mais ils servent à créer cette ambiance suspecte chère à l’écrivain, lui permettant de sortir son lecteur du train-train de ses bouquins habituels ou de ses raisonnements classiques. Car la vérité est ailleurs (mais bien malin celui qui la découvrira après avoir refermé l’ouvrage), planquée dans une analyse psychologique particulièrement complexe entre deux personnages – une mère et sa fille – qui pour être franc, m’ont semblé assez perturbés. Ajoutons un estivant logeant dans une cabane proche et qui intrigue la narratrice ou Maia, du même âge que Liv, une sorte d’ado gothique vue avec les deux jeunes peu de temps avant leur mort et qui pourrait être la huldra…
L’écrivain use des répétitions comme si Liv devait se persuader de ce qu’elle voit ou croit voir ; et pour crisper un peu plus le lecteur, de tournures de phrases du type « Quand je pense à ce qui arriva ensuite et à l’effet que cela eut sur moi… »
Il y a deux niveaux d’analyse du roman : soit on se contente de son aspect « surnaturel » et de ses mystères qui resteront inexpliqués jusqu’à la fin, et nous avons là un bon roman intrigant au possible, nimbé de cette poésie liée à la nature et son ésotérisme mis en lumière dans les contes. Soit on essaye de voir par-delà les choses, considérant qu’il s’agit derrière l’intrigue d’une métaphore ayant un sens. Mais alors quel est-il ? Et chacun de tirer sur un fil de la pelote.
La mère et la fille n’ont rien en commun. Aucune animosité entre elles deux mais elles ne se parlent pas, du moins jamais elles n’abordent de front les questions ou les problèmes (thème récurrent chez Burnside) par une sorte de pudeur ou de liberté accordée à l’autre mais poussée un peu loin. De cette éducation, Liv me paraît perturbée à moins que ce ne soit sa crise d’adolescence – beaucoup de traits y font penser – qui l’incite à ne fréquenter personne, être seule en permanence. Par contre dans sa tête, ça y va ! Les hypothèses, les suppositions, l’introspection, mais comme jamais elle ne demandera conseil à quiconque, le lecteur finit par se demander si tout ce qu’elle nous relate ne relève pas de son imagination ou de ses fantasmes de jeune fille agglomérés aux légendes racontées par le voisin ? On peut aussi se demander si Liv et Maia ne seraient pas la même personne, les deux faces d’un même être, à savoir une jeune femme passant à reculons (d’où tout ce bazar !) de l’adolescence à l’âge adulte, ce que corroborerait le tableau inachevé de Liv peint par sa mère puis celui de Maia ; la mère ayant deviné ce point de bascule garde une trace de sa fille encore enfant/inachevée puis de cette « autre » en devenir… ?
Bon j’arrête là, vous voyez que le roman est complexe et que chacun pourra s’en faire sa version s’il s’engage dans cette lecture, difficile, mais riche en possibilités.
« Je ne peux pourtant pas être absolument certaine de la teneur de ce dont je fus témoin ce soir-là. J’étais encore un peu embrumée quand je me levai et allai à la fenêtre, or tout ce qui se passa ensuite semble contredire ma version des faits – néanmoins je vis ce que je vis. Je n’imaginai rien de tout ça et je ne suis pas folle. Je le croirais volontiers, si je le pouvais, car ce serait l’explication, pour ainsi dire, d’une chose par ailleurs impossible à expliquer. Je vis ce que je vis, cette nuit-là, de même que je vis ce que je vis plus tard, quand la huldra vint prendre sa dernière victime, mais j’ai beau essayer de trouver une explication, je n’y arrive pas. C’est impossible. »
John Burnside L’Eté des noyés Editions Métailié – 321 pages –
Traduit de l’anglais (Ecosse) par Catherine Richard
« C’était une huile de Harald Sohlberg, représentant une petite maison au bord de la mer, une hytte blanche isolée… (…) L’étiquette, sur le mur, donnait le nom et la date de l’œuvre en norvégien, Et Hus Ved Kysten (1907) puis la traduction – La Maison du pêcheur (1907) -, qui n’était pas exacte, quoique assez proche. » [p.205]
06:50 Publié dans Etrangers | Tags : john burnside | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook |